“J’étais ‘sa femme’. Ça m’étonnait toujours au début d’entendre ces deux mots quand il disait, très petit-bourgeois, très comme il faut: ‘Je vous présente ma femme …’ Ça en étonnait d’autres d’ailleurs, mais c’était pas pareil: ça les faisait sourire, et cette esquisse de sourire-là, je la connaissais, elle voulait dire: ‘Un mariage entre une femme et un homosexuel, ça ne compte pas, c’est un mariage bidon.’ C’était le sourire de ceux qui refusent la féminité chez les hommes et ne pouvaient voir que, même, seul un homosexuel peut aimer à ce point une femme de façon exclusive. Non, pour ces gens, les plaisirs devaient être simples et droits. Et ces deux-là justement essayaient de composer quelque chose d’autre, de se réinventer quelque peu, se reconstruire. Il faut dire qu’avec les ruines de l’Allemagne, et eux en ruine corps et âme, ils partaient avec un certain avantage, c’est-à-dire de zéro, moins que zéro, c’est ça l’intérêt des guerres, des maladies, comme disait leur poète philosophe, celui qui, à la fin, aimait bien parler à l’oreille des chevaux: Là où il n’y a pas de ruines, il n’y a pas de résurrection.”*
*Jean-Jacques Schuhl, “Ingrid Caven”, Gallimard
“Un long métrage, moi comme seule vedette! Un rôle de rêve! En or, même. J’ai hésité beaucoup: je savais que le film était un prétexte pour être à nouveau avec moi. Si j’avais voulu faire carrière – mais le chant m’avait été donné au départ, dès l’enfance, comme une grâce, très très jeune, retournée, en offrande, à Dieu —, j’aurais accepté, il était déjà célèbre à ce moment-là, mais, je sais, à Las Vegas, il m’aurait demandé d’être à nouveau sa femme et, à un moment ou à un autre, en un point du globe, je l’aurais quitté au milieu de la chanson, ou alors
peut-être à la fin de la chanson, et je ne voulais pas me servir de lui, nos rapports n’avaient jamais été de cet ordre, nous aimions l’artifice et la drôlerie, pas la carrière.”*
*Jean-Jacques Schuhl, “Ingrid Caven”, Gallimard